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D'aventures en Aventures

Je vois défiler 4h, 5h, 6h, on se prépare déjà à partir. Mon corps a déjà mis de côté ses douleurs. Je harcèle déjà mon gynécologue par téléphone pour qu’il me laisse sortir. De toute façon, même s’il n’est pas d’accord je partirai. J’ai un besoin viscéral de voir mon bébé.

Mon gynécologue arrive et, cet homme qui était simplement notre médecin se transforme presque en proche, on a vécu ça avec lui et il est très touché. Je sors enfin et on se précipite directement, presque machinalement, vers l’hôpital où est Lenny.

On sonne, on dit fébrilement : « on est les parents de Lenny », si on avait su à ce moment-là que cette phrase on la dirait plusieurs fois par jour pendant des semaines.

Il y a un tiroir avec son prénom et à l’intérieur se trouve notre « équipement » de "super parents".

On enfile blouses, sur chaussures, charlottes, on se lave les mains, se désinfecte… Ce sera notre lot quotidien pendant un moment.

Et là on attend, on attend, on nous fait entrer et on nous guide vers une autre pièce et on attend encore une heure. Je sens bien que quelque chose d’anormal se passe.

Trois femmes entrent et l’une d’elle se présente comme le médecin, elle nous annonce que Lenny vient d’être intubé car il a fait un arrêt cardio respiratoire pendant un examen.

Le choc. Encore un coup de massue sur nos têtes déjà fragilisées. Je pleure, j’ai envie de vomir, je bégaie, je demande juste si je peux le voir.

J’arrive dans cette pièce où il fait si chaud, il y a d’autres bébés minuscules dans les boîtes transparentes, et là, je le vois au fond de la pièce avec une infirmière. Il n’est plus enfermé, il a juste un chauffage au dessus de lui, et des tas de fils partout.

J’ai peur, je tremble, je ne sais pas quoi dire. Je découvre ces petits spasmes qui le traversent des pieds à la tête. On m’installe un tabouret juste à côté mais je n’ose pas le toucher, je tremble tellement. Je vois ce tuyau dans son nez et lui qui ne bouge pas du tout. Tout ça me dépasse et la fatigue n’aidant pas je panique de plus en plus. Elle me dit que je peux le toucher, lui parler, qu’il m’attendait, qu’il a énormément besoin de moi car on l’a séparé de sa maman trop brusquement. Mais je n’arrive pas à me contrôler, j’ai mal pour lui et je suis tellement épuisée par toutes ces nouvelles informations. On préfère partir et revenir dans quelques heures quand on aura digérer tout ça.

On se repose chez mes parents une heure. On se sent bien chez eux, protégés, à l’abri dans une bulle. Ils font bouclier pour nous, car on ne peut pas assumer la vie quotidienne, notre seule et unique priorité est désormais notre fils.

On discute beaucoup tous les deux avant d'y retourner et on décide de reprendre le dessus, de traiter les informations comme elles viendront. Quand on rentrera dans le service, plus de larmes, plus de doutes, il faut qu’on soit forts pour lui. On fera bloc tous les deux.

On y retourne, on découvre que les spasmes ont l’air d’être très douloureux et selon les médecins c’est le cœur du problème. Ça nous tord de l’intérieur de le voir souffrir sans pouvoir faire quoi que ce soit. On ne fait même pas attention à ses petits doigts et son pied légèrement déformés.

Nous faisons ce que nous pouvons, c’est à dire notre rôle de parents, on le câline, on le masse, on lui fait des bisous, on lui parle énormément, on fredonne des chansons qu’il connaît depuis mon ventre, on lui amène deux doudous, un qui sent papa et un qui sent maman. 

Je me pose beaucoup de questions en le regardant spasmer, aurais-je pu m’en rendre compte ? Je fais vite le rapprochement entre ses mouvements quand il était en moi et ce que je vois… Oui je sais… Je sais qu’il a commencé dans mon ventre. Je me sens encore plus coupable de ne pas m’en être rendue compte.

J’ai forcément une part de responsabilité.

Un matin, on va ensemble le déclarer à la Mairie. Décidément, rien ne se passera comme les autres pour nous. Il avait, tant de fois, imaginé fêter la naissance de son fils, aller le déclarer à la Mairie fièrement… les grosses étapes de la vie d’un papa. Mais non, on y va tous les deux abattus mais main dans la main comme depuis le début. On est des battants et la vie ne nous aura pas si facilement.

Jour après jour, Lenny subit des examens à répétitions, prises de sang, électro encéphalogramme, radios des poumons, des intestins, du coeur, prélèvements de peau, transfusion sanguine, mais rien, pas de réponse, ses organes sont normaux. Les jours passent, nous investissons le service, c’est de plus en plus comme chez nous. On commence à pouvoir lui faire certains soins, c’est pesant et en même temps très léger parce que la situation est stable. L’équipe médicale est fantastique, douce, patiente, elle nous intègre dans tout ce qu’elle fait. Les termes médicaux deviennent familiers et on connait et décrypte toutes ces courbes et ces chiffres sur les machines. On a l’impression de servir à quelque chose, de faire partie du service. On aime presque entendre ces bips qui rassurent.

La nuit sans, c’est le vide.

Les allers retours maison hôpital sont continus, on va chez mes parents simplement pour dormir un peu, manger et se laver. Lui et moi ne nous séparons jamais de plus de deux mètres, on fait tout en même temps, on est en symbiose et unis dans l’épreuve. Nous passons nos nuits à parler de la situation et à ressasser ce que nous ont dit les médecins dans la journée pour mieux comprendre tout ça à froid.

Parfois, on évoque tous les deux le « si ça se passe mal", mais c’est trop douloureux rien que d’y penser, on ne peut même pas l’envisager. Je me souviens d’une fois dans la salle de bain chez mes parents, je suis assise, je le regarde profondément et je dis à voix basse « Imagine qu’il ne s’en sorte pas…? » j’ai dû mal à terminer ma phrase que je suffoque et il me répond des larmes dans les yeux « Tu sais bien que je n’aime pas les si ».

Le plus clair de notre temps, on le passe debout au dessus de cette couveuse. C’est là qu’est notre place et, bizarrement, c’est là qu’on a le sourire.

Les puéricultrices nous proposent même de le prendre dans nos bras.

La manipulation est assez compliquée car il est intubé et branché en continu mais c’est un tel bonheur de pouvoir le tenir tout contre nous. Et lorsqu’il est contre son papa ou moi il respire mieux et se détend.

Moi, quand on me propose de le prendre je stresse car je sais qu’il faut le débrancher pour quelques secondes et j’ai peur, j’ai tellement peur qu’il lui arrive quelque chose à chaque seconde.

Une fois, dans mes bras, il n’a pas su reprendre sa respiration avec le respirateur automatique. J’entends les machines bipper dans tous les sens, j’en ai des sueurs froides mais je dois me décontracter et respirer car il est contre moi et ressent mon angoisse. Il change de couleur, devient gris. Je panique. La seule manière de l’aider est de presser le respirateur manuel. L'infirmière a pressé ce respirateur accroupie devant moi pendant de longues, très longues minutes, elle a lu dans mes yeux la détresse comme si je la priais de ne pas laisser mon fils mourir dans mes bras.

Je ne l’ai presque jamais repris contre moi après ce jour. C’est tellement difficile avec toutes ces machines, ces tuyaux.

Cette barrière me tue.

Je voudrais nourrir, câliner mon enfant, le bercer, le serrer contre moi tout simplement car je vois qu’il souffre et que c’est ce que me crie mon instinct maternel. Mais je ne peux pas, je suis spectatrice et je déteste ce rôle.

Les médecins nous annoncent qu’il va faire un IRM cérébral et que, selon eux, tout part de là, que son cerveau ne fonctionne pas correctement ce qui pourrait expliquer les spasmes. Les deux jours pendant lesquels nous avons attendu les résultats ont été interminables.

On entre enfin dans le bureau du médecin et elle nous dit que son cerveau va bien.

Encore un choc.

Mais c’est un soulagement pour nous, on se dit que s’il survit il ne sera pas handicapé mental, si ce n’est que physique, on pourra gérer. Le handicap ne nous fait absolument pas peur parce qu’on déborde d’amour pour lui.

Lui tel qu’il est.

Mais le docteur se met à pleurer, elle nous dit que notre calme la déstabilise, que notre fils va bien en apparence, qu’ils ne trouvent rien mais qu’il va mal, très mal. Ils ont un dernier recours, la dernière chance, car après ils ne savent plus où chercher, c’est une biopsie musculaire. Un spécialiste va venir prélever un morceau de muscle dans la cuisse de Lenny. J’en ai la nausée. Je me rends compte du nombre d’examens et de souffrances qu’il subit en si peu de temps. Des choses que nous ne connaitrons très certainement jamais.

Le lendemain de la biopsie musculaire, on nous transfère dans une autre pièce où Lenny est seul, la pièce zéro, ça fait froid dans le dos. Il fait sombre, le seul néon qui fonctionne clignote sans arrêt, mais les puéricultrices préparent la pièce pour la rendre plus agréable à vivre. On nous explique que c’est l’endroit où ils mettent les cas graves pour que les parents soient tranquilles. On nous met deux lits pour qu’on puisse dormir avec lui. Les puéricultrices installent même Lenny dans mon lit en scotchant un peu partout les tubes et les fils. Je ne pourrais jamais les remercier assez pour leur disponibilité. Notre famille, si on le souhaite, peut venir le voir désormais. Nous ne comprenons pas encore à ce moment là que c’est le début de la fin…

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