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Le début de la fin

Les médecins décident de soulager les douleurs de Lenny en lui donnant un anesthésiant musculaire, ce qui fait de lui un vrai légume et les oblige à mettre son respirateur au maximum et à lui poser une sonde urinaire. Ils lui administrent même de fortes doses de curare, des doses d’adulte. C’est le prix à payer pour ne plus le voir souffrir.

On vit dans le service maintenant, on y mange, on y dort. On rentre rapidement chez mes parents pour se laver. Les jours passent et malgré la lourdeur de la situation, notre quotidien est plutôt léger. On s’occupe de Lenny, on lui met de la musique, on peut même le laver, l’habiller, faire quelques soins… On discute constamment avec les puéricultrices qui sont devenues nos proches, elles sont d’un tel réconfort, on se confie et on pleure dans les bras de ces femmes en rose qui étaient des inconnues il y a à peine 3 semaines.

Le médecin nous propose de le baptiser en urgence. Et là, on aurait pu comprendre mais je pense que notre cerveau ne voulait pas admettre la réalité. Son parrain, sa marraine, mes parents, mon beau-père sont présents et tout ça se passe presque normalement, comme ci cette pièce était notre maison. 

On admet petit à petit grâce aux longues conversations qu’on a tous les deux et celles avec les soignants que tout ça n’est pas la vie réelle. Dehors, on voit des enfants en poussette, courir, rire… Et Lenny, lui, ne peut ni manger seul, ni respirer correctement. On se pose donc la question de son avenir proche ou lointain.

Nous, ses parents, n’avons vu la couleur de ses yeux qu’une seule fois car il est trop épuisé pour pouvoir les ouvrir ou même pleurer. Cette bulle dans laquelle nous nous trouvons avec notre fils ne peut pas durer éternellement, elle va nous exploser un jour en pleine figure et les dégâts vont être irréparables. Mais, on est déchirés entre le cœur et la raison.

Le médecin qui s’occupe de Lenny décide avec l’équipe médicale de stopper ses soins c’est à dire qu’ils ne feront désormais que le minimum, c’est la loi qui veut ça. On ne tue pas mais on fait en sorte que le patient s’en aille. Ça s’appelle l’arrêt de soins et on ne sait pas combien de temps ça peut durer. Par contre, il nous le promet, Lenny ne souffrira pas.

Il faut que le cheminement se fasse dans nos esprits. Mais comment être prêt à laisser son bébé s’en aller? Il vient juste de naître, il ne peut pas nous quitter, un bébé ne meurt pas d’habitude. Pourquoi les autres ont leur enfant et pas nous ?

Tellement de questions et d’incompréhensions se bousculent. 

A partir de cette annonce, débute un cauchemar. On attend nuit et jour, tous les deux, debout devant les moniteurs que quelque chose change, que son cœur et sa respiration ralentissent… Mais rien, les jours défilent et toujours rien, c’est déstabilisant, car ils ne lui avaient donné que quelques jours voir quelques heures. On a peur de quitter la pièce 5 minutes et qu’il nous quitte à ce moment-là, qu’il parte tout seul. Dès que j’entends un bip sur les machines, mon corps se fige, j’ai les mains moites. Je sais qu’il va me quitter, je ne me voile pas la face, je vais devoir lui dire au revoir mais je ne me sentirais jamais prête pour ça.

Une nuit, je m’étais assoupie au creux du petit cou de Lenny et je trouve Camille comme un zombie debout devant la machine. Pas besoin de poser la question, je vois qu’il est terrorisé, il me dit simplement : « Je n’arrive pas à dormir »…

Après 5 jours de nuits blanches et d’angoisse, on voit bien que rien ne change. Aucun médecin ne vient nous voir et on comprend qu’ils sont dans l’impasse. 

Ce petit être se bat, il combat  l’anesthésiant afin de pouvoir ouvrir les yeux, il résiste à des doses puissantes de morphine. Il se bat pour la vie. Il est plus fort que nous deux réunis.

On passe une nuit tous les deux à en parler, on met à plat toutes les informations qu’on a reçues depuis le début. Et on tombe rapidement d’accord, il faut qu’on parle au médecin et ce sera soit il nous redonne de l’espoir, ils reprennent les soins et les recherches, soit ils abrègent ses souffrances et les nôtres, car si cette situation continue, nos nerfs vont lâcher. 

J’en parle avec la soignante la plus proche de Lenny, celle qui l'a pris en charge depuis le premier jour, elle est honnête et m’explique qu’il y a un malaise.

Personne ne comprend pourquoi Lenny est toujours là. Et les médecins sont déstabilisés, ce sont des hommes, ils sont touchés de près et aucun ne trouve le courage de venir nous affronter. Après un mois, tout ce qu’ils savent c’est qu’aucun examen n’a montré de problème chez Lenny alors que, clairement, il va mal, et lorsqu’ils sont persuadés qu’il va partir tranquillement pour ne plus souffrir, il se bat.

Le lendemain matin, le médecin de Lenny entre enfin dans la chambre. Je lui explique qu’on ne veut et ne peut surtout pas rester dans cette situation, on est prêts à le laisser partir car c’est égoïste de le garder avec nous dans cet état. On a compris que la bulle dans laquelle on se trouve est éphémère. Mais si rien ne peut être fait dans ce sens alors, il faut reprendre les soins.

Il nous laisse deux jours. Deux jours pour accumuler le maximum de souvenirs avec Lenny et ensuite, ce sera terminé, on abrégera ses souffrances.

On passe ces deux petits jours à le photographier, le toucher, le sentir, le câliner, lui dire qu’on l’aime tout simplement.

On garde l’empreinte de son petit pied dans du plâtre et Camille me fabrique une bague avec un bout de plâtre, un cœur rouge en plastique et un bout de fil de fer. Il revient avec cette bague et me demande de l’épouser. Je ris et je dis oui bien sûr car depuis le début c’est l’homme de ma vie et je sais qu’on est indissociables à présent, mais on prend tous les deux cette demande avec légèreté car, plus que n'importe qui, on ne sait pas de quoi demain sera fait.

Pendant ces deux jours, ils accumulent le maximum de prélèvements de peau et de sang sur Lenny pour pouvoir continuer les recherches après sa mort. La dernière fois qu’on lui a pris du sang, ça a été insupportable, ils devaient remplir beaucoup de tubes et ils ont du appuyer, appuyer sur son ventre pour que le sang sorte.

J’en étais malade.

Nous n’avons prévenu personne de ce qui allait se passer, pas même mes parents. Je ne veux pas leur mettre plus de responsabilités et de souffrances sur les épaules. Ça se passera dans l’intimité, tous les trois. On a décidé d’assumer et d’accepter notre rôle de parents depuis le début, et ce sera jusqu’au bout. On organise également sa cérémonie d’enterrement tant qu’on en est encore capables.

On se met d’accord sur le lieu, les couleurs, les musiques… On fait tout ça presque machinalement, on ne se rendait pas encore compte de ce qui nous attendrait après.

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